A.B.A. Ille-et-Vilaine

Texte intégral du podcast

En 2004, des parents d’enfants autistes se sont rassemblés pour faire entendre leur voix. L’A.B.A Ille-et-Vilaine s’est fondée pour informer et aider des parents déboussolés par l’incompréhension suscitée par l’autisme. Une quinzaine d’année plus tard, le constat n’a pas changé, et l’A.B.A continue d’œuvrer pour faciliter l’intégration des personnes autistes dans la société, notamment par des séances de sport.

Podcast diffusé sur les ondes de la Corlab en février 2021.

Épisode 1

Dans le sud de Rennes, au cœur d’une ancienne école, se tient une de ces séances.

Générique : L’économie autrement, le rendez-vous quotidien de l’économie sociale et solidaire en Bretagne.

Etienne Maudet : On fait des raquettes !

Abderamane : Oui !

Etienne Maudet : C’est parti !  T’es prêt ?

Abderamane: Oui !

Etienne Maudet : On fait doucement ! Comme Etienne…doucement…  A toi !  viens avec moi, viens près de moi.

Abderamane : NOOONN ! (cri)

Etienne Maudet : C’est bien, c’est toi qui fais là.  Tiens, prends le ballon.

Abderamane : (énervement) Tu dois te concentrer ! Mais c’est pas comme ça je te dis… Toi tu tapes tout doucement et moi je tape très fort  !

Etienne Maudet : Moi je tape doucement et toi tu tapes doucement aussi.

Etienne Maudet : Je m’appelle Etienne Maudet. Je suis enseignant en activités physiques adaptées et j’interviens auprès de personnes autistes dans le cadre de mon activité.

Etienne Maudet : Alors, c’est Abderamane, il a 5 ans et j’ai été contacté par ses parents pour faire des séances d’activités physiques, étant donné qu’il n’est pas en mesure encore d’intégrer un club sportif classique. L’idée, c’était de l’entraîner sur ces compétences-là pour par la suite, être inclus en club sportif classique ou en cours d’EPS classique.

Etienne Maudet : Ok, Abderamane. Ca va ? Le dernier tir et après on ramasse  (bruit de tir de ballon). Très bien. Merci Abderamane.

Abderamane : Je vais les ranger ! Où faut les ranger ?

Etienne Maudet : Dans le sac !

Florian Lebars, journaliste : On voit aussi que c’est sportif, pour vous, c’est intense physiquement d’être toujours à l’écoute de ses besoins.

Etienne Maudet : Alors, c’est exigeant forcément,  ça demande de préparer en amont et aussi d’anticiper les éléments perturbateurs des séances, tout ce qui peut nuire un peu à l’attention du pratiquant. Mais c’est super important de pratiquer avec. Parce que pour lui, je ne suis rien qu’un compagnon de jeu pour faire ses séances. Donc, il faut être actif, il faut “pratiquer avec” plutôt que “faire pratiquer” classiquement.

Florian Lebars : Les bienfaits du sport aussi, le plaisir, on l’imagine à chaque séance, c’est ce qui dicte un petit peu ce que vous faites ?

Etienne Maudet : C’est l’élément le plus important, que la personne prenne du plaisir, même si on est sur des tâches de progrès, d’apprentissage, une volonté  d’évolution, d’aller toujours dans le progrès. L’élément fondamental, c’est le plaisir et il n’y aura pas d’apprentissage ou moins d’apprentissages si ce plaisir n’est pas présent.

Générique : Ce reportage a été réalisé par la Corlab. Retrouvez-le en podcast sur corlab.org


Épisode 2

Ces séances de sport individuelles sont malheureusement victimes de leur succès d’après le trésorier de l’association, Jérôme Lemasson.

Générique : L’économie autrement, le rendez-vous quotidien de l’économie sociale et solidaire en Bretagne

Jérôme Lemasson : Je suis Jérôme Lemasson, je suis papa d’un enfant autiste qui va avoir bientôt 11 ans et membre du bureau de l’association A.B.A. Ille-et-Vilaine avec la fonction de trésorier.

Etienne Maudet : (à Abderamane) Est ce que tu es prêt ? Tu peux prendre un plot blanc.

Abderamane : (chante) Les petits poissons…

Etienne Maudet : Et c’est parti, on court !

Jérôme Lemasson : L’accompagnement par Etienne, au niveau de l’Association, c’est la deuxième année que ça se fait. C’est un accompagnement qui devrait dans l’idéal avoir lieu au sein des associations sportives, pour le sport à l’école, et pas seulement dans le cadre de séances et d’accompagnement individuel.

Florian Le Bars : On en est loin, malheureusement ?

Jérôme Lemasson : Malheureusement oui. Sachant que pour l’accompagnement d’enfants autistes, il y a pas mal de professionnels de différentes spécialités qui peuvent intervenir : des orthophonistes, des éducateurs, de la psychomotricité. Le domaine du sport était assez peu abordé, sachant qu’on se battait déjà pour avoir toutes ces prises en charge. Le sport, ça passait souvent au second plan. Or, le fait de pouvoir développer des activités sportives, c’est bon pour les enfants. Ça permet aussi d’être un support pour développer les interactions sociales. Et ça permet aussi quand l’enfant va participer aux activités sportives à l’école, qu’il ne soit pas complètement démuni, sans aucun outil pour qu’il puisse se débrouiller dans ces séances de sport.

Florian Le Bars : Donc, il y avait un vrai besoin qui n’était pas pris en charge par l’État, par l’école, par les structures associatives et sportives. C’est là que vous vous êtes dit à l’A.B.A. Ille-et-Vilaine : “on a un rôle à jouer, peut être un vide à remplir, en tout cas ?”.

Jérôme Lemasson : Oui, tout à fait. Alors c’est des besoins qui ne sont pas remplis. Et on ne se rend pas forcément compte, quand on est la tête dans le guidon, à chercher déjà toutes les prises en charge essentielles : faire du soutien à la scolarisation pour que l’enfant puisse rester à l’école, trouver les bons professionnels. Et puis on jongle avec un emploi du temps assez chargé. On n’a pas forcément conscience que cet aspect du sport est important et l’activité physique est aussi importante.

Florian Le Bars : Pourtant, aujourd’hui, les parents qui ont essayé, les enfants aussi, peuvent en témoigner j’imagine ?

Jérôme Lemasson : Oui, la demande augmente et dépasse ce que nous on peut proposer avec l’association.

Florian Le Bars : Vous apportez un soutien financier à ces séances de sport, ça a un coût, forcément ?

Jérôme Lemasson : On prend en charge une bonne partie des frais de façon à ce que le reste à charge pour les familles soit supportable mais on ne peut pas tout prendre en charge. Mais on s’est trouvé cette année à devoir limiter le nombre de séances par enfant pour qu’un maximum d’enfants puissent en profiter. Et on est toujours à la recherche de soutien financier pour nous aider à financer cette activité.

Florian Le Bars : C’est malheureux, ça. Quand vous voyez les progrès que peut faire votre fils, par exemple grâce aux séances de sport ?

Jérôme Lemasson : C’est dommage de ne pas pouvoir en faire profiter plus. Je pense que s’il y avait deux ou trois ou quatre “Etienne”, ça permettrait aussi de répondre mieux aux besoins des enfants. S’il y avait aussi les financements le permettant.

Générique : Ce reportage a été réalisé par la Corlab. Retrouvez-le en podcast sur corlab.org


Épisode 3

Éducateur physique spécialisée sur les questions de l’autisme, Etienne Maudet intervient sur les séances de l’A.B.A Ille-et-Vilaine. Dans son métier, il doit faire preuve d’adaptabilité.

Florian Le Bars : La sensibilité sensorielle, ça fait partie d’une des grosses particularités quand on travaille avec des enfants autistes ?

Etienne Maudet : Oui, je crois que je n’ai jamais vu un enfant autiste qui n’avait pas des particularités sensorielles. C’est super important. C’est quelque chose qu’on commence à bien prendre en compte sur ces dernières années. C’est super important de se former là-dessus parce que ce n’est pas forcément intuitif. On ne comprend pas forcément les réactions et les comportements qu’on dit “problème”, alors que ce sont plutôt nos comportements qui sont un peu intrusifs pour eux. Et a contrario, c’est super important de les prendre en compte pour tout ce qui va être “plaisant” pour eux. Si, par exemple, le tactile est très plaisant pour un enfant et que c’est très plaisant d’être mobilisé comme Abderamane, on va l’utiliser pour qu’il prenne lui aussi du plaisir dans la séance, qu’il intègre tout ce qu’on lui demande.

Florian Le Bars : Et le toucher avec Abderamane, vous l’avez découvert au fil des séances ou en discutant effectivement avec ses parents, avec les professionnels de santé qui le suivent ?

Etienne Maudet : Je n’avais pas eu la chance de discuter avec la psychomotricienne qui le suit. Je l’ai découvert au fur et à mesure des séances. Après, j’avais bien vu comment Abderamane se comportait avec ses parents, qu’il était très tactile. Il n’était pas seul dans son coin. Il est allé très vite auprès d’eux, se coller, aller faire des câlins, etc. Et moi, pendant mes séances, j’ai bien vu, là aussi, que ça a été très facile de faire le lien. Il a très vite couru auprès de moi, même si la première séance ne s’est pas passée comme ça parce que ça a été plus compliqué. Sur la deuxième ou troisième séance, ça a été.

Florian Le Bars : Racontez nous cette première séance. En quoi ça a été compliqué ?

Etienne Maudet : C’est assez rare, ça résume pas du tout toutes les personnes que j’accompagne, mais en fait à la première séance, je suis arrivé chez eux et il s’est caché sous le lit. Il ne comprenait pas du tout pourquoi j’étais là. Il ne voulait pas que j’intervienne auprès de lui et on a discuté un petit peu avec les parents par la suite parce qu’eux n’avaient jamais vu ça non plus. Aderamane n’avait jamais fait ça avec aucun autre professionnel. On a discuté et les intervenants auprès d’Abderamane ne sont que des femmes, sauf moi qui suis un homme. Peut être qu’il s’attendait à avoir une autre intervenante femme. Et du coup il était un peu impressionné aussi ou ne comprenait pas. Ce n’était pas concevable pour lui, que quelqu’un qui soit un homme intervienne auprès de lui.

Florian Le Bars : Donc, vous avez dû remettre la séance à plus tard ou ça s’est arrangé ?

Etienne Maudet : Ce que j’ai fait, ou plutôt ce que le papa a proposé (merci à lui) ? On a regardé un dessin animé. Voilà un moment plaisant. On est retrouvé sur un moment plaisant à regarder un dessin animé tous les deux. Moi, je me suis assis à côté de lui. Ça s’est fait comme ça. On n’a pas fait du tout de sport et on a fait du sport sur la deuxième séance en prenant du plaisir. Et puis, ça s’est très bien passé par la suite. Mais la première incompréhension, ça a été ça !

Générique : Ce reportage a été réalisé par la Corlab. Retrouvez-le en podcast sur corlab.org


Épisode 4

Grâce à ces séances individualisées, les enfants et les adolescents progressent pas à pas. Mais est-ce suffisant pour réussir ensuite en milieu ordinaire ?

Générique : L’économie autrement, le rendez-vous quotidien de l’économie sociale et solidaire en Bretagne.

Abderamane : (Bruit de raquettes) 11, 12, 13, 14,15, 16, 17,… Ahhh ! 18, 19 et 20 ! (Cris de joie)

Etienne Maudet : Bravo Abderamane, c’est bien !

Florian Le Bars : Pour vous, ce travail avec des enfants autistes, avec des ados autistes, il est confronté avec la réalité à l’extérieur ? Un club de foot, par exemple aujourd’hui, n’est peut être pas préparé comme vous l’êtes à accueillir des enfants autistes ? On a déjà du mal à comprendre ce qu’est l’autisme et ses différents degrés, aujourd’hui, c’est ça le problème pour faire de l’inclusion réussie ?

Etienne Maudet : Oui, j’ai encore des difficultés à trouver des clubs sportifs qui sont plutôt ouverts à l’autisme. Il y en a de plus en plus et les éducateurs sportifs sont de plus en plus adaptatifs. Pas que d’un point de vue l’autisme, mais aussi des différents handicaps. Ça va dans le bon sens. Ça va lentement, trop lentement, parce qu’il y a une demande forte des familles de personnes autistes et les autistes eux mêmes. Mais ces éducateurs-là sont pas encore sensibilisés de ce point de vue-là. Ils n’ont pas encore expérimenté d’avoir une personne autiste dans leur effectif. Donc, il faut expérimenter. Ça fait toujours un peu peur. Mais avec le travail que font les associations, de sensibilisation auprès de ces professionnels-là, on arrivera petit à petit à inclure les personnes autistes auprès de personnes neurotypiques.

Florian Le Bars : Mais c’est une réflexion globale. Finalement, ça ne touche pas que les clubs sportifs. C’est à nous toutes et tous de faire notre éducation autour de la question de l’autisme et de ce qu’est l’autisme aujourd’hui ?

Etienne Maudet : Oui, c’est sûr, ça nécessite un peu de curiosité. Mais les chiffres de l’autisme actuellement parlent d’une naissance sur 100, même d’une naissance sur 70 plus récemment, qui concerne un enfant autiste. C’est énorme, pas du tout marginal. C’est pas du tout des personnes qu’on ne verra jamais dans nos vies. On sera forcément confronté à un moment donné à une personne autiste, à une personne qui aura des particularités neurologiques. Donc ça concerne pas du tout que le sport. Ça concerne pas du tout que l’aspect scolaire… ça les concerne à part entière mais ça nous concerne aussi, nous toutes et tous, et notre curiosité à comprendre cette complexité neurologique.

Florian Le Bars : Vous y arrivez vous, à la comprendre complètement ?

Etienne Maudet : Non, je n’aurais pas cette prétention là ! Et en plus, l’hétérogénéité des profils autistiques sont énormes. On parle de l’autisme très sévère, avec des grosses particularités neurologiques et sensorielles, jusqu’à un autisme léger. On parle des personnes haut potentiel surdouées… C’est très, très large. C’est très, très divers. Leurs “intérêts restreints”, comme on dit, sont très pluriels. Là aussi, je pense que je n’ai pas vu un dixième des profils autistiques.

Florian Le Bars : Et le crédo d’A.B.A. Ille-et-Vilaine c’est d’ailleurs ça ? C’est que les autistes sont différents, mais comme chacun d’entre nous est différent. C’est ce que vous ressentez avec les enfants avec lesquels vous travaillez?

Etienne Maudet : Oui, parce qu’ils accompagnent à la fois des adultes avec des bonnes capacités cognitives et relationnelles, jusqu’à l’enfant qui a des capacités cognitives ou relationnelles plus particulières. Ils accompagnent tout le monde, tous les âges, sous différentes actions et dans les personnes que j’accompagne auprès de cette association là aussi, c’est très divers.

Générique : Ce reportage a été réalisé par la Corlab. Retrouvez-le en podcast sur corlab.org


Episode 5

Des enfants qui apprennent, grandissent et progressent, des parents ravis du travail mené par Etienne Maudet : malgré ce dispositif, les parents doivent continuer leur combat, après les séances.

Générique : L’économie autrement, le rendez-vous quotidien de l’économie sociale et solidaire en Bretagne.

Etienne Maudet : (en aparté à Jérôme Lemasson). C’est super, il commence à se déplacer un peu plus en raquettes. Il faut toujours insister pour qu’il regarde l’objet à taper mais par contre il y a un peu plus de déplacements. Il reste toujours un peu comme ça… mais c’est de mieux en mieux.

Jérôme Lemasson : Mais au moins il bouge les jambes un peu… super !

Florian Le Bars : (à Jérôme Lemasson) C’est fatiguant quand on est parent, quand on voit parfois la détresse, j’imagine, des autres parents, de se dire que tout cela n’est qu’une question d’argent et pas de bien-être pour l’enfant et pour sa famille ?

Jérôme Lemasson : C’est une question d’argent, c’est une question de professionnels. Et oui, c’est malheureux de devoir pleurer pour avoir des prises en charge qui se tiennent et qui apportent un minimum de bénéfices pour l’enfant.

Florian Le Bars : Parce que c’est vrai pour le sport ici, avec les séances proposées à l’A.B.A. Ille-et-Vilaine. C’est vrai dans la vie quotidienne des parents qui doivent se battre continuellement ?

Jérôme Lemasson : Oui continuellement ! Se battre pour obtenir les aides dont l’enfant doit pouvoir bénéficier, que ce soit l’accompagnement à l’école, que ce soit des aides financières pour financer des prises en charge, un soutien moral. On aimerait un soutien de la société et des institutions pour que l’enfant puisse progresser. Il y a du potentiel et il y a vraiment des progrès énormes qui peuvent être faits avec des bons accompagnements.

Florian Le Bars : Ça, c’est ce qu’on a du mal à comprendre. Alors je ne sais pas dans les autres pays, mais en France, que l’autisme, c’est une différence, pas nécessairement un handicap ?

Jérôme Lemasson : C’est une différence ET c’est un handicap parce que ça provoque une réelle difficulté à l’inclusion dans la société. Mais surtout, on ne se rend pas compte du potentiel qu’on peut avoir à développer les capacités de l’enfant avec une bonne prise en charge. On a eu trop souvent tendance et on a encore souvent tendance à se dire ces enfants-là, il faut qu’ils aillent dans les institutions, il faut qu’ils soient sortis de la société, finalement. Alors qu’il faut une prise en charge suffisamment intensive, suffisamment conséquente, pour qu’il y ait des progrès, pour qu’on puisse augmenter le degré d’autonomie ou monter le degré d’inclusion dans la société. Il faut se donner les moyens de mettre en place une prise en charge.

Florian Le Bars : L’A.B.A Ille-et-Vilaine milite pour faire reconnaître ce savoir qui est méconnu malheureusement. C’est vrai que l’autisme est une question aujourd’hui qui est peut être un petit peu incomprise par la société de manière générale. C’est ce que vous observez d’ailleurs, Jérôme Lemasson, au quotidien, cette incompréhension de l’autisme ?

Jérôme Lemasson : Oui. Et cette incompréhension, ce refus ou ces difficultés pour que l’État, pour que les collectivités, mettent en place des instruments qui permettent de sortir de ça et d’avoir des vraies perspectives pour nos enfants.

Générique : Ce reportage a été réalisé par la Corlab. Retrouvez-le en podcast sur corlab.org