Un Atelier Chantier d’Insertion à la Maison d’Arrêt de Brest

Damien, opérateur de l’atelier chantier d’insertion 

“Ça va te paraître un peu bizarre, mais moi, au jour d’aujourd’hui, ils me mettent en prison, ça me fait plus rien. 
Ça ne me fait plus rien, ça fait de la peine à ceux qui sont dehors. Moi, ça me fait rien, je recommencerai si je dois recommencer, si je dois me battre parce que on m’a manqué de respect, je me battrai. Ça ne changera rien, donc je referai de la prison, je le sais, j’en suis conscient.
Mais après, chaque peine est différente, pendant toutes mes peines de prison, j’ai travaillé. Ici, c’est un chantier d’insertion, j’ai déjà fait un autre chantier d’insertion. J’ai fait pratiquement toutes les prisons de France. Enfin, j’en ai fait une bonne quinzaine, j’ai 15 ans de prison derrière moi.
Ça fait plus grand chose, c’est juste pour avec les enfants, la femme, la famille, la maman, c’est plus difficile, c’est même pas pour moi, c’est même pas moi qui effectue une peine, ici, je suis à l’aise comme un poisson rouge dans un aquarium”. 

Le narrateur 

“Tout commence par une histoire de serpent qui se mord la queue, un cercle vicieux duquel il est difficile de s’échapper malgré 15 ans passés derrière les barreaux, malgré une compagne, une mère, une famille, des amis qui attendent la sortie, cette menace de revenir, trop vite, trop tôt à l’ombre. 

A l’été 2021 le Ministère de la Justice a publié une étude sur ce phénomène. On y apprend qu’en France un détenu sur 3 récidive à l’issue de sa peine. De quoi interroger le rôle de la prison en France. Le ministère est pourtant clair : protéger la société, sanctionner le condamné, veiller aux intérêts de la victime, voilà les missions principales de la prison. 

Mais elle doit aussi préparer l’insertion où là réinsertion de la personne détenue. Et si l’expérimentation permettait de changer les choses ? Prenons la route, direction Brest. La maison d’arrêt est visible depuis la RN 12, juste avant l’arrivée dans la cité du Ponant. Grise, austère comme le ciel, elle ressemble à l’image qu’on peut se faire d’une prison. C’est ici que nous avons rendez-vous ce matin. 

Des portes qui claques des clés qui tournent, des serrures qui s’ouvrent, des murs qui défilent et font perdre l’orientation, l’horizon. L’univers carcéral est un monde à part et très vite, la sensation d’être en dehors du monde nous prend. 
C’est pourtant dans un lieu très commun que nous nous rendons : un atelier comme un autre avec des hommes en blouses et du travail. On croirait une entreprise classique, à quelques détails près.” 

Caroline, encadrante technique de l’ACI (Atelier Chantier d’Insertion)

“C’est confortable, ils ne sont que 8, donc on peut prendre le temps aussi d’observer (bruit d’alarme), de les connaître, de voir un peu. – bruit d’alarme – ça, c’est quelqu’un qui veut certainement rentrer aux ateliers, c’est la sonnette. Il y a pas mal de bruit qui réveille, on n’est jamais trop dans le confort, ce n’est pas le cadre !

Je m’appelle Caroline et je suis encadrante technique sur le chantier d’insertion de prélude à la maison d’arrêt. Donc c’est vraiment l’aspect technique, on fait, en ce moment, de la couverture de livres. C’est une couverture plastique, c’est fait de façon professionnelle, ils sont formés, et cetera. Nos opérateurs sont formés et c’est le même type de qualité qu’on va retrouver en bibliothèque, en médiathèque. Donc ça c’est l’activité qu’on a en ce moment.

Mathieu, opérateur de l’ACI 

“Ici, c’est un chantier d’insertion à la maison d’arrêt de Brest.” 

Le narrateur 

“Cheveux longs, souriant, la vingtaine, la vie devant soi. Et pourtant, à un avenir en pointillé, nous appellerons ce jeune homme, Mathieu.” 

Mathieu, opérateur de l’ACI 

“C’est simple, quand on arrive ici à 8h, enfin 7h30, on doit prendre notre blouse, on regarde notre poste de travail : s’il est propre, si tout est bien en place. Moi après on prend un bac, on doit faire les livres. Après, on doit les mettre à la zone d’expédition.  Les personnes qui nous ont donné les livres pour qu’on les fasse, ils les récupèrent. Pour l’instant, au travail, y a pas de souci particulier. Les clients, ils ont l’air contents.” 

Le narrateur 

“Comme Mathieu, ils sont 8 à se lever 4 jours par semaine pour rejoindre l’atelier, remplir leur mission avec chacun leur propre raison et leur propre motivation.” 

Mathieu, opérateur de l’ACI 

“Quand on travaille pas, on reste dans notre cellule, on regarde la télé, on fait un peu de sport, rien de très concrêt. Du coup, la journée on la sent moins passer en détention en travaillant.” 

Le narrateur 

“Damien n’a pas encore 40 ans. Grand et élancé, sportif, on sent en lui une grosse énergie. Et pour cause, il a déjà passé plus du quart de sa vie derrière les murs. Alors forcément, ses motivations sont différentes”. 

Damien, opérateur de l’ACI 

“Moi, je vois l’aménagement de peine au bout. Je veux que ça pousse un peu à l’aménagement de peine, et puis je suis assez pressé de sortir. 
J’ai pas de temps à perdre ici, j’ai d’autres choses de prévues dehors. C’est pas un travail que je vais effectuer dehors mais ça me pousse vers l’extérieur. Quand on peut travailler ici, c’est de l’argent qu’on n’apporte pas de l’extérieur non plus : l’argent d’ici reste ici et l’argent de dehors reste dehors. Enfin voilà, dans mon optique à moi, comme ça j’ai pas besoin de demander à ma famille de m’aider non plus. 
En plus, c’est aussi financier : payer les parties civiles, s’il y en a, les amendes,… C’est important pour notre dossier d’aménagement justement, si les parties civiles sont pas payées, même pour les remises de peine, si c’est pas payé, on les a pas donc,…”

Caroline, encadrante technique 

“D’autres m’ont déjà dit que c’était une chance pour eux, juste parce que comme ça c’est un temps où ils ne sont pas dans leur cellule. C’est un temps aussi qui est relativement calme, où on fait autre chose, même si c’est effectivement assez particulier de couvrir des livres, mais je pense que c’est aussi une façon pour eux d’être dans une petite bulle. Et puis ça reste un mini espace de liberté, on va dire. Où ils peuvent prendre des initiatives, où on peut discuter. Enfin, c’est un peu un peu du monde extérieur qui vient jusqu’ici.” 

Le narrateur 

“L’atelier chantier d’insertion de Prélude, ACI pour les intimes, est une nouveauté à la maison d’arrêt de Brest. Lancé à l’automne 2021, c’est une expérience inédite aussi pour Caroline, l’encadrante technique du chantier. Elle découvre l’univers carcéral.” 

Caroline, l’encadrante technique 

“Moi, j’étais formatrice avant, en CFA, j’étais enseignante, donc là c’est une découverte du milieu. Alors qui est super intéressant puisque c’est un milieu qui n’est pas accessible à tout le monde.
La communication par exemple, je ne peux pas aller dans le bureau d’à côté voir ce que ma collègue fait où ferait à ma place. Quand on est encadrement technique, on est seul, on vit une sorte d’isolement.
Finalement, je me rends compte qu’il y a beaucoup d’infos qu’on a dans la vie par observation : quand on est dans une structure avec différents bureaux, on voit les gens passer, on les voit travailler, on voit et on comprend plein de choses. Ici, non. On est cloisonné et du coup ce qui se passe autour dans les autres bureaux  dans le fonctionnement général, on le voit pas forcément.

Et puis je sais pas où sont les tabous non plus : est-ce que j’ai le droit de parler de tout avec eux ? je ne sais pas. Est-ce que est ce que la maison d’arrêt peut pas me reprocher ça ? J’en sais rien. Ça aussi c’est une question que je me pose dans le cadre du chantier : où est la place de la conversation ? Est ce que j’ai le droit d’aborder tous les sujets ? Je marche un peu sur des œufs pour l’instant, très honnêtement, parce que je ne connais pas le milieu carcéral.

On signe un document avant de travailler ici, où on s’engage. Il y a pas mal de choses : on n’a rien droit de donner, pas le droit de transmettre des informations avec l’extérieur, plein de choses comme ça. Mais à côté de ça, c’est pas forcément très détaillé non plus. Donc je me demande est-ce que je dois parler de tout? Est-ce que c’est judicieux ? Puis après, comment dire ça, je le ferai que en tant que personne avec mon bon sens personnel, c’est pas non plus cadré dans une profession, ça n’est pas la mienne. Comment gérer tout ça ? Je ne sais pas, je je me pose la question et j’ai du mal pour l’instant à être naturelle. En fait, je me sens en observation pour l’instant, un peu en retrait.” 

Le narrateur 

“Imaginez la prison, c’est réveiller des images : du pénitencier des Daltons à la grande évasion de Steve McQueen, de l’enfer de Midnight Express aux larmes de la ligne verte, la culture populaire façonne depuis toujours notre définition de la prison. Mais que ressent-on quand cet univers devient notre lieu de travail, qui plus est quand notre travail est d’aider, d’accompagner l’autre ?” 

Caroline, l’encadrante technique 

“Il y a quelque chose qui m’a marquée quand je suis arrivée, c’est le côté très chaleureux du personnel. Et quand on vous dit Bonjour, on vous dit un vrai grand Bonjour comme s’il y avait besoin de renverser un peu la vapeur, de rééquilibrer un peu les choses, on est dans un milieu qui est très dur. Et du coup, c’est important d’être un peu chaleureux les uns avec les autres. J’ai ressenti ça en tout cas, beaucoup de disponibilité, d ela part des secrétaires notamment. 

Et après ? j’ai hâte d’en savoir plus.  J’ai eu l’occasion d’aller dans un autre bâtiment. Et là j’ai trouvé que l’ambiance changeait largement. J’étais surprise de voir l’état des locaux. Je me suis demandée si la laideur fait partie de la punition, je ne sais pas, le bruit. J’ai vu pour la première fois, les portes des cellules, on peut du coup mesurer l’étroitesse de la pièce et puis le bruit, les détenus tapent contre les murs et les insultes qui volent partout. Enfin, on sent du coup-là la tension permanente certainement, et du coup on la mesure. OK qu’est-ce qu’ils vivent au quotidien, comment ça fonctionne ? Et ce n’est pas très confortable.  Moi, la question que je me pose, c’est dans quel état ils sont, qu’est-ce qu’ils vivent, et où est ce qu’on peut mettre le curseur où est ce qu’il est raisonnable de le mettre ou pas ? Enfin moi je ne suis pas détenue donc je n’en sais rien, je ne sais pas, je ne connais pas la frustration d’être enfermée, je ne connais pas tout ça et je pense que sur un cerveau et un corps humain, ça a un impact absolument hallucinant. On n’est pas dans la même réalité du tout.” 

Le narrateur 

“Malgré cette double réalité, la mission de Caroline est aussi de valoriser le travail des opérateurs, les aider à reprendre confiance en eux pour préparer au mieux la sortie. Mais pour éviter la récidive, il faut aussi et surtout préparer la sortie. Depuis 1999, c’est le rôle du SPIP, le service pénitentiaire d’insertion et de probation. Il en existe un par département.” 

Ronan, conseiller d’insertion et de probation au SPIP 

“Le ou les rôles du SPIP ? Alors on peut répondre de façon très classique. Le conseiller d’insertion et de probation a pour objet de suivre des personnes en milieu ouvert comme en milieu fermé, et travailler avec eux pour limiter les risques de récidive, c’est à dire de travailler sur le passage à l’acte mais aussi d’orienter, d’accompagner des personnes sur des parcours tout au long de la prise en charge.  

Je suis en poste en milieu ouvert, c’est à dire que je m’occupe des personnes qui ont fait l’objet, pour l’essentiel d’une condamnation, mais dont la peine s’exécute à l’extérieur des murs. Le Spip, c’est un service départemental et on se doit d’avoir un regard sur la globalité de la situation. On va avoir des personnes qui sont suivies en milieu ouvert pour plusieurs raisons, ils peuvent être amenés à venir en détention.  Et puis, à la suite de leur période en détention ferme, ils peuvent être à nouveau suivis, soit dans le cadre d’une mesure probatoire ou d’autres mesures, soit dans le cadre d’un aménagement de peine en milieu ouvert.  Donc l’objectif de la prise en charge par le Spip, c’est de travailler sur ces facteurs en vue de limiter les risques de récidive.” 

 Le narrateur 

“Juliette, responsable du Spip à la maison d’arrêt de Brest, précise la mission de son service, une sorte de guichet unique pour répondre aux problématiques que peuvent rencontrer les détenus.” 

Juliette, responsable du SPIP à la maison de Brest 

“Le Spip intervient à la maison d’arrêt. Il a en charge toutes les personnes, qu’elles soient condamnées ou pas. On accompagne la personne détenue pendant tout son parcours lors de l’entrée en détention jusqu’à la préparation à la sortie. Les difficultés sont liées à l’enfermement. Les personnes détenues n’ont pas accès directement à l’extérieur, donc tout ce que ça engendre, pas d’accès Internet, pas d’accès de téléphone possible avec des institutions. Donc tout ce qui est accès aux droits, préparation à la sortie. On a différents partenaires qui interviennent pour la préparation du projet professionnel : le pôle Emploi, la mission locale, le CLPS, les centres de formation qui interviennent dedans. Nous, on intervient directement auprès des personnes détenues et on oriente vers les différents partenaires. On essaie d’individualiser le parcours au maximum en orientant vers les bons partenaires.” 

Le narrateur 

“La création de l’ACI avec l’association Prélude est venue compléter l’offre d’accompagnement proposée par les CPIP. Car au sein de l’atelier chantier d’insertion, on travaille aussi pour construire son futur.” 

Maud, conseillère en insertion professionnelle de l’ACI 

“Retourner dans une dynamique de travail, dans une dynamique où il y a de la reconnaissance pour les détenus, ça ne peut être qu’important, ça ne peut être qu’un point positif pour les aider à la sortie.  
L’articulation entre le Spip et notre association qui s’appelle Prélude ? On fonctionne dans un vrai partenariat ou par exemple moi, sur mon poste de conseillère en insertion, j’échange avec les différents conseillers d’insertion et de probation sur les personnes qu’on accompagne en binôme, en quelque sorte, pour donner les informations, faire avancer les choses et entre autres, pouvoir mettre en place des projets d’insertion à la sortie pendant que les personnes sont encore en détention. Donc il y a tout un travail qui s’articule avec le Spip pour faire des demandes, par exemple d’aménagement de peine. Avoir plus de regard sur sur les peines en cours et sur les possibilités à la sortie : quand la sortie pourrait éventuellement être effective, si elle pourrait être effective avant la date de fin de peine prévisible entre autres. Voilà, il y a tout un travail déjà à ce niveau-là.” 

Juliette responsable du SPIP 

“En tant que conseiller en insertion et probation, on n’est pas spécialisé ni réellement compétent en matière professionnelle, ce n’est pas vraiment notre domaine. Maud est plus spécifiquement chargée de les accompagner pour tout ce qui est sur le projet professionnel, pour la sortie, pour la suite, faire le lien entre dedans et dehors. 
Après, chaque personne détenue est différente, ils n’ont pas les mêmes besoins et elle travaille beaucoup là-dessus, donc on se réunit régulièrement en CTOIP, c’est un Comité technique où tous les partenaires de l’insertion professionnelle se réunissent une fois par mois. Et on échange sur chaque situation pour faire le lien et voir quelles orientations sont possibles et où en est la personne.”

Le narrateur 

“Plutôt que de rajouter de la complexité, l’arrivée d’une conseillère en insertion professionnelle au sein de l’atelier chantier d’insertion est venue compléter le travail des CPIP.” 

Maud, conseillère en insertion professionnelle 

“En termes d’accès aux droits et pour toutes les questions administratives, c’est plus du rôle du spip entre par le biais d’une assistante sociale qui travaille. AU niveau de Prélude, on ne va pas intervenir sur ce point, mais on va prendre en compte les informations. Qu’est-ce qu’est ce qui attend les personnes détenues une fois qu’elles seront sorties ? Si je prends un exemple, c’est par rapport au CV. On sait que c’est le papier important, entre autres pour l’emploi, et pour certaines personnes qui ont des passages en détention, qui amènent directement des trous sur le CV, il y a ça aussi à construire avec eux. On sait que parfois, en discutant avec les opérateurs, certains précisent qu’ils auront des obligations ou des interdictions à leur sortie : que ce soit des obligations de soins, obligation de trouver du travail, interdiction de passer le permis ou d’aller sur certaines zones. Oui, on en parle et on va aussi préparer à la sortie d’une autre manière ou on va faire venir d’autres intervenants, d’autres structures, afin de les préparer, d’avoir peut-être plus de certification ou de reconnaissance. 
La semaine prochaine on aura une personne d’une association qui travaille pour la mobilité des personnes, donc que ce soit en termes de passer le permis, en termes de financement possible pour un achat de véhicule ou toujours le passage du permis, les microcrédits également aussi, le bus, parfois les réseaux de bus, comment ils fonctionnent. Et ça, c’est des éléments qu’on apporte dès maintenant afin de préparer à la sortie et de pouvoir répondre à des questions qui parfois n’ont pas eu de réponse pour certains d’entre eux.” 

Le narrateur 

“Un renfort bienvenu pour les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation. Malgré les efforts de l’administration pénitentiaire pour recruter, les CPIP doivent gérer un grand nombre de dossiers.” 

Ronan, CPIP 

“Le nombre de CPIP c’est pas que pour les personnes enfermées. 
Oui, il y a 70 000 personnes détenues, mais 200 000 personnes suivies en milieu ouvert. Par exemple à Brest, sur le Finistère, 360 personnes incarcérées, à peu près 150 qui exécutent une peine en bracelet électronique, une quinzaine actuellement en semi-liberté. D’autres en placements extérieurs et pris en charge en milieu ouvert, c’est 980 personnes en milieu ouvert. Donc la totalité des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont en charge non seulement les personnes qui exécutent une peine en milieu fermé, mais aussi les personnes qui sont suivies pour la plupart en exécution d’une peine en milieu ouvert. 

C’est très peu, ça dépend à quoi s’en réfère : si on s’en réfère aux modèles étrangers qui nous sont présentées, en termes de prise en charge, effectivement, c’est très peu,… alors j’ai pas forcément les chiffres en tête, mais ce qui nous est indiqué c’est que dans certains pays où la prise en charge nous est présentée comme exemplaire, c’est un conseiller d’insertion pour 40 personnes. Moi, actuellement, en milieu ouvert, j’ai 95 personnes en charge.” 

Le narrateur 

“Et autant de dossiers CAF, Sécu, Banque, logement, permis à gérer. Dans ces conditions, le millefeuille administratif à la française n’est plus une image, c’est une réalité. Comment apporter alors une réponse individuelle adaptée à la situation de chacun ? Le format du chantier d’insertion, avec 8 détenus, apporte déjà une première réponse, même s’il a fallu l’expliquer.” 

Maud, conseillère en insertion professionnelle au sein de l’atelier 

Chacun a des besoins différents, un engagement aussi différent et un besoin de préparer sa sortie. Ça dépend vraiment de ce qu’ils ont déjà à la sortie, de leur motivation, de leurs besoins. Donc avec certains opérateurs, c’est le terme qu’on emploie pour parler des personnes qui travaillent sur le chantier, avec certains opérateurs, je vais passer plus de temps parce qu’ils vont avoir plus de besoins parce qu’ils vont venir plus naturellement aussi, demander de l’aide dans cet accompagnement qu’on propose. D’autres personnes nécessiteront moins d’accompagnement, parfois pour la simple et bonne raison qu’ils ont d’autres conseillers qui les accompagnent sur d’autres dynamiques, que ce soit les conseillers pôle emploi Justice, conseiller mission locale également pour les plus jeunes. Donc il y a déjà des choses qui qui sont initiées en amont. 

Nos rôles, on les a expliqués, on les a cadrés, dès le début. C’est à dire que les conseillers d’insertion et de probation et moi en tant que CIP, n’avons pas du tout les mêmes fonctions, et on n’a pas les mêmes connaissances non plus des parcours des personnes. Les opérateurs sont conscients des différences entre ces 2 métiers d’accompagnement et nous-mêmes sommes conscients aussi de de ces limites-là.” 

Le narrateur 

“Malgré ces limites, pour les détenus du chantier d’insertion, l’arrivée de Maud est une bouffée d’air supplémentaire”. 

Damien, opérateur de l’ACI 

“Déjà on peut la voir tous les jours, on peut lui parler tous les jours un peu plus. Comprendre nos besoins et en référer au SPIP. Moi, j’ai du mal à voirmon CPIP. J’ai un problème, je ne sais pas, soit elle m’aime pas trop ou elle veut pas trop m’aider donc je pousse un peu les choses pour que ça se fasse. Ça fait 3 semaines que je demande à la voir parce que j’ai un problème de CAF.” 

Mathieu, opérateur de l’ACI 

Ils nous mettent en détention et après on fait notre peine et on sort. Il n’y a pas vraiment des choses concrètes. On sort un peu de nous-mêmes quoi. Y a pas vraiment d’aide alors qu’au chantier d’insertion, ils orientent vachement sur quelque chose de concret. Ils nous préparent déjà des rendez-vous pour qu’on les rejoigne dehors, soit sur le chantier d’insertion, soit sur plusieurs formations. Du coup, ils nous orientent vachement.” 

 Le narrateur 

“Pour nourrir son accompagnement, la conseillère d’insertion professionnelle peut aussi s’appuyer sur le comportement des détenus au sein du chantier. Le dialogue avec Caroline, l’encadrant technique est constant”. 

Maud, CIP de l’ACI 

“Ma collègue est à la maison d’arrêt sur cet atelier, tout le temps d’activité, donc elle est là 6h par jour, pendant 4 jours par semaine, ce qui n’est pas mon cas. J’interviens aussi en extérieur donc je ne vois pas forcément tout et on est complémentaire aussi car ma collègue, encadrante technique, travaille vraiment sur l’appropriation de la technique de l’activité et également sur les savoir-être en termes de travail. Et moi, de mon côté, je suis plus sur la projection, donc il y a un travail en binôme important, il y a un besoin qu’on sache chacune ce qu’on travaille avec chacun, c’est la complémentarité.” 

Le narrateur 

“Des rôles clairement définis. 
Caroline l’encadrement technique veille au bon fonctionnement de l’atelier avec les détenus ou plutôt les opérateurs dans le cadre de ce chantier. 
Maud, elle, les accompagne sur le champ de l’insertion professionnelle. Elle fait aussi le lien entre ce qui se passe au sein de l’atelier chantier d’insertion et le spip, où les conseillers essayent d’avoir une vue globale sur ce qui s’y passe.” 

Ronan, CPIP du SPIP 

“Il y a un avant prison, il y a pendant prison, il y a un après prison. Le travail en détention, c’est quelque chose qui est compliqué, c’est à dire que pour accéder au travail en maison d’arrêt ou en établissement, il faut avoir déjà des compétences pour, bénéficier d’un accord pour le classement sur différents types de postes qui sont ouverts à l’intérieur de la maison d’arrêt. 
Tout ça, c’est examiné à la suite de demandes qui sont formalisées par les personnes en détention. C’est examiné en commission pluridisciplinaire unique. C’est ça qui va valider ou pas la demande de classement au travail en détention, il faut déjà répondre à un certain nombre de critères. Or on a des personnes qui arrivent en maison d’arrêt, qui sont éloignées de l’emploi, parfois très éloignées de l’emploi, et c’est l’objet de la mise en place du fameux chantier d’insertion. 

Puisqu’il y a des personnes qui ne vont pas forcément répondre aux critères attendus par l’établissement, en termes par exemple de comportement, en termes de savoir-être, qui auront beaucoup de mal à accéder à un certain nombre de dispositifs, notamment celui du travail. 
Et ça, on peut déjà l’évaluer pratiquement dès l’entrée en détention, on va avoir des personnes qui vont nous dire au moment de l’arrivée, “j’ai pas travaillé depuis des années”, on va pouvoir évaluer aussi avec ces personnes qu’il y a des difficultés de santé, de mobilisation, de savoir-être et la question se pose, est ce qu’on peut proposer un parcours à ces personnes ? Alors il y a des parcours au niveau de la santé, des parcours au cœur de l’école , à l’éducation nationale, des dispositifs de formation. Mais la question qui s’est posée c’est effectivement qu’est ce qu’on peut proposer en termes de d’accès à l’emploi, c’est à dire, ce n’est pas simplement faire quelque chose, c’est acquérir des savoir-être de base : être à l’heure au travail, savoir se comporter, savoir réaliser une tâche correctement, ça, on peut l’évaluer dès l’arrivée en détention, c’est à dire en fonction du parcours qui a été fait avant incarcération. 
On permet à ces personnes d’intégrer le chantier ACI avec tout le travail qui est mené par la conseillère en insertion professionnelle et le but, comme indiqué par Juliette, c’est aussi de préparer les personnes pour l’après détention dans le cadre, soit d’un aménagement de peine, soit d’une sortie, en tout cas vers une orientation vers un dispositif qui aura pu être évalué concrètement pendant la détention.”  

Le narrateur 

Au sein de la direction, on est également attentif au démarrage de ce chantier d’insertion. 

Fabien Boivent, directeur de la Maison d’arrêt de Brest 

“Tout le monde travaille en synergie il y a une vraie volonté de d’atteindre les objectifs en commun.  Le projet est très intéressant. Là, la nature de la production. Travailler le livre, c’est porteur de sens aussi, c’est à dire que ce n’est pas une production anodine. Ce qu’on voulait, c’était pouvoir proposer une activité qui offre un peu plus que simplement du travail. Derrière ça, on a pu envisager différents schémas.
À un moment, on a pu réfléchir à l’idée de pouvoir donner accès au travail à des personnes handicapées. Et puis on s’est rendu compte que les vrais freins au travail étaient peut-être pas tant sur le champ du handicap que sur un champ social avec des personnes qui n’avaient peut-être jamais travaillé de leur vie ou pas travaillé depuis très longtemps et qui avaient, au-delà du besoin d’avoir une activité professionnelle, avaient aussi besoin d’un accompagnement et donc c’était l’intérêt d’avoir un atelier chantier d’insertion, c’était d’avoir justement cette activité de production qui permet d’avoir une ressource financière aux personnes détenues assez basiquement de les remettre au travail, de les habituer à se lever enfin des choses assez classiques qu’on retrouve sur les postes de travail en détention, quel qu’il soit. Mais voilà d’abord cette plus-value aussi, pour aller chercher un public qui peut être plus éloigné du travail que d’autres et donc de pouvoir leur proposer quelque chose. “

Le narrateur 

“Monter un atelier chantier d’insertion au sein même d’un établissement pénitentiaire est une première. Et pour se faire, il a fallu réunir de nombreuses forces vives.” 

Fabien Boivent, directeur de la Maison d’arrêt de Brest 

“À l’origine, on a même 2 autres acteurs qui étaient parties prenantes et qui nous ont laissé un petit peu de place maintenant, c’était la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes et la Cress, la Chambre régionale d’économie sociale et solidaire de Bretagne. Donc c’est avec ces 2 partenaires que, dans un premier temps, on a réfléchi le projet. 
Une fois qu’on a arrêté le projet d’un atelier chantier d’insertion, il y a eu un appel à manifestation d’intérêt, donc c’est la que Prélude s’est manifesté et qu’on a travaillé à 5. Et puis désormais à 3, puisque comme je vous le disais, la disp de Rennes et la CRESS maintenant nous laissent voguer. 

L’avantage, c’est qu’on était entre personnes qui travaillaient déjà ensemble, puisque bon évidemment, le spip, la maison d’arrêt travaillent quotidiennement ensemble, mais Prélude fait partie du CLPS, qui est un organisme de formation qui intervient déjà dans l’établissement.  On avait déjà des contacts d’ailleurs, c’était ce qui était intéressant pour nous, c’est de pouvoir faire des passerelles entre les différents dispositifs proposés au sein de la maison d’arrêt. 

Et donc on a construit ça ensemble avec des objectifs communs et pour pouvoir déterminer l’activité, parce que ça a été la première chose à définir : quelle activité de production on allait proposer dans un premier temps ? il y a eu une idée autour des ordinateurs : pouvoir remettre des ordinateurs en état. Et puis cette idée n’ayant pas pu aboutir, on s’est orienté vers le livre. Et une fois qu’on avait déterminé cette activité, on a mis en place tout un fonctionnement commun pour déterminer qui allait faire quoi, quelle était la place de chacun dans ce dispositif et comment on arrivait à accompagner les détenus dans le cadre de ce dispositif. 
Je pense que ça va donner des résultats. Il ne faut pas non plus croire qu’avec une telle action, ça y est, on a résolu tous les problèmes de prévention de la récidive, mais je pense que ça va être un vrai atout pour le public accueilli à la maison d’arrêt de Brest.” 

Le narrateur 

Le directeur est prudent, le projet est jeune, frais. Il est encore en rodage et les personnes qui travaillent autour sont quotidiennement confrontés à de nombreux problèmes.” 

Caroline, encadrante technique de l’ACI 

“Là, on manquait cruellement de matière première, on manquait de livres, nos opérateurs travaillent vite et bien, et je ne vais pas dire trop vite et trop bien parce que ce serait dommage, mais on est un peu dépassé par ce côté-là…  Du coup, la stratégie, ce n’était pas d’être rapide ! Mais quand on aura d’autres activités, on pourra avoir des postes dédiés à une tâche particulière et organisés autrement. Le chantier, c’est le but. J’ai hâte qu’on en soit à ce point-là.  Puisque là, ça peut être redondant quand même. C’est finalement la même tâche, ça structure les choses. Et puis ça permet aussi, quand il y a différents types d’activités, de se tester,de s’adapter à différentes choses. Vous avez des compétences qui peuvent être ensuite utilisées dans d’autres types d’emplois. Enfin, il y a aussi tout un volet là-dessus. 

On fait venir des personnes, il y a des interventions pour parler de certains corps de métier. On essaye aussi de leur faire découvrir d’autres milieux professionnels avec des interventions, sans faire des bilans de compétences, mais essayer aussi de leur faire comprendre ça.  C’est un travail que j’ai l’intention de faire dans quelques semaines par rapport à ce qu’ils savent faire. Alors pas forcément que ici, mais ce qu’ils ont appris à faire. Certains peuvent avoir l’impression que s’ils n’ont pas de diplôme, ça veut dire qu’ils ne savent pas faire des choses. Mais si on sait tous en faire plein, mais des fois, c’est tellement évident pour soi qu’on n’imagine pas que ça puisse être une compétence, donc faire un peu un état des lieux comme ça, en mélangeant ce qu’ils ont vécu avant et puis ce qu’ils ont appris ici, sur le chantier. Et puis montrer que toutes ces compétences-là, on peut les transférer dans un emploi. Et essayer de voir différents types de catégories d’emplois auxquels ils pourraient avoir accès”. 

 Le narrateur 

“Construire ou reconstruire des bases solides est le premier étage de la fusée, un défi pendant la détention. D’autant qu’il en restera encore beaucoup d’autres à relever après. Un point en particulier inquiète.” 

Mathieu, opérateur de l’ACI 

“C’est surtout le logement parce que, je vais faire un métier, mais après c’est question du logement parce que je vais aller peut être faire ma formation à Rennes du coup c’est ça qui coince un peu, j’ai juste des inquiétudes sur ça”. 

Maud, CPI de l’ACI 

“Si on accompagne une personne qui, n’a pas de logement qui l’attend à la sortie, c’est important à prendre en compte pour nous, pour savoir où est ce qu’elle peut se projeter, s’il y a des demandes de logement sociaux qui ont été faites en amont, quels sont les délais à tenir parce que nous, on va travailler sur l’emploi, on fait la projection à l’emploi, mais un emploi sans logement peut être compliqué. Un emploi sans stabilité peut être compliqué, donc il y a tout ce travail à prendre en compte”.  

Juliette, responsable du SPIP 

“La grosse difficulté, à Brest comme dans beaucoup d’endroits, c’est l’accès au logement à l’extérieur. Après, pour les personnes qui perdent le logement du fait de la détention ou qui arrivent déjà sans logement, il y a des dispositifs, des demandes d’accès au logement, donc il y a une assistante sociale qui est chargée spécifiquement de ce sujet-là. La difficulté c’est les places à l’extérieur, il n’y a pas de place en centre d’hébergement ou même les logements sociaux pour les listes d’attente c’est un an, 2 ans.” 

Le narrateur 

“La crise du logement en France est une réalité. Elle concerne environ 4 millions de personnes et cette réalité se confronte avec celle de la population carcérale. Le rapport sur la récidive, publié à l’été 2021, le démontre. La récidive est liée à la misère sociale. Un détenu peu, voire pas diplômé, victime de troubles psychologiques, célibataire et sans logement, avec un casier judiciaire déjà bien rempli, cochera toutes les cases pour revenir avec une nouvelle condamnation. 
Le serpent se mord la queue.  
Par la surveillance, par le travail d’accompagnement, la solidarité entre les différents partenaires. L’individu trouve parfois en détention un cadre nécessaire pour s’en sortir. Mais qu’en sera-t-il lorsque l’individu retrouvera sa liberté ?” 

Juliette, responsable du SPIP 

“Il y a la poursuite des soins : les soins en détention sont plus facilement accessibles, il y a un service médical assez conséquent et des dialogues avec des psychologues, des psychiatres,… Les personnes détenues, si elles le souhaitent, peuvent réellement mettre en place un suivi ici, ce qui est plus compliqué à l’extérieur puisque les délais sont extrêmement longs. La personne en détention va plus facilement vers les soins parce que c’est à proximité, c’est facile. Voilà. Ils sont appelés à des horaires, de la même manière que sur le chantier d’insertion à la maison d’arrêt. Des personnes qui du fait d’addictions, d’autres problématiques peuvent avoir difficultés à se mobilier, à se lever matin parce qu’ils sont tous seuls, il n’y a personne pour les réveiller. Ici, ce n’est pas le cas. 

Donc ils vont facilement tenir le cap ici en détention puisque de fait, il y a des portes fermées, il y a des surveillants, ils n’ont pas d’autres choses à penser, alors qu’à l’extérieur, ça peut être compliqué. Donc un chantier d’insertion ici, là, je prends le groupe de 8,il n’y a pas de difficultés particulières. Depuis qu’ils ont commencé, tout se passe bien, mais ça pourrait poser des difficultés à certains une fois dehors parce qu’il n’y a plus le cadre. 

Après, il y a des personnes détenues qui sortent de détention sans aucun suivi. Donc si elles ne le souhaitent pas, s’il n’y a plus de suivi judiciaire, si elle le souhaitent, s’échappent et peuvent revenir, malheureusement.”

Le narrateur 

“Malgré tous leurs efforts, les travailleurs sociaux qui interviennent dans l’univers carcéral sont confrontés aux limites de leur mission. 
Ces femmes et ces hommes ne peuvent pas faire à la place. Si le libre arbitre de la personne accompagnée peut certes freiner les progrès, il est quand même contrôlé par les obligations de la justice, que ce soit au sein des établissements pénitentiaires ou même en milieu ouvert. Mais une fois sa peine purgée, l’individu sera libre de couper les ponts. Une situation que Maud, la conseillère d’insertion professionnelle du chantier d’insertion, résume ainsi.” 

Maud, CIP de l’ACI 

“On essaie de construire des bases solides, nous on ne va pas donner de réponse, on ne va pas ouvrir les portes en quelque sorte. Mais on va plutôt accompagner les opérateurs pour leur montrer comment ouvrir la porte par eux-mêmes en se donnant les moyens et le ciment pour pouvoir bâtir quelque chose de pérenne à la sortie.” 

Le narrateur 

“La liberté serait-elle parfois un cadeau empoisonné ? Même quand on a passé des mois, parfois des années derrière les barreaux, le fait de la retrouver condamne trop souvent encore à la perdre à nouveau. 
Avec l’atelier chantier d’insertion de Prélude, l’administration pénitentiaire essaye de corriger les choses. Heureusement, il existe parfois des petites victoires. 

Et si accompagner un détenu à accomplir son rêve d’enfant en est une ? Alors Maud, Caroline, Ronan, Juliette et tous les autres auront réussi leur pari.” 

 Mathieu, opérateur de l’ACI 

“En étant petit, comment dire ? J’étais toujours un peu casse-cou, à vouloir monter partout, et on a élaboré un peu ça ici : voir ce qu’on pouvait faire vraiment dehors. Ils m’ont orienté sur un métier, j’allais dire un métier avec des sensations, donc quand je serai en semi-liberté, je compte faire une formation de cordiste à Rennes. 

C’est un métier dans le bâtiment, on a des cordes et on doit soit nettoyer une façade d’un appartement, repeindre une façade ou des fois c’est de la soudure, de la maçonnerie en hauteur quoi, c’est toujours en hauteur.”